Le colosse aux pieds d’argile
MonkeyBird
bombe aérosol et pochoirs coupés à la main
Façade Sud bâtiment C. Delbo
Le Colosse aux pieds d’argile mesure 20m x 8m
Le Colosse aux pieds d’argile, est une œuvre de MonkeyBird, un duo d’artistes surnommés Blow the bird et Temor. Ils réalisent ensemble des œuvres au pochoir depuis 2012. Leurs sources d’inspiration sont nombreuses : l’histoire de l’art, l’archéologie ou encore la biologie.
L’utilisation du noir et du blanc leur permet de créer de la profondeur et des volumes. Le doré apporte du contraste et intensifie la composition. Les fresques deviennent alors comparables à de monumentales gravures des temps modernes. La découpe minutieuse des pochoirs dans l’atelier est une partie essentielle du travail. Dans le Colosse aux pieds d’argile, MonkeyBird a souhaité traiter du musée du Louvre comme d’« une bibliothèque qui référence les différentes époques qu’on a pu traverser ».
La fresque se lit verticalement. Plusieurs œuvres du Louvre se superposent chronologiquement, depuis l’ère pharaonique jusqu’au XVIIe siècle, en passant par l’Antiquité. En bas, parmi les ruines et les barricades, un groupe de personnages représente le peuple, faisant écho à mai 68.
Cette fresque a pour thème l’éternité de la culture confrontée aux révolutions : l’art n’est que fragments, entre destruction et reconstruction. Le Colosse aux pieds d’argile paraît invincible, mais combien de temps encore tiendra-t-il debout ?
MonkeyBird nous offre une œuvre très riche et très complexe avec de nombreuses références. Le colosse aux pieds d’argile rassemble quatre œuvres du musée du Louvre qui forment une statue monumentale :
Le masque mortuaire en or de Phénicie
Tout en haut, on distingue un masque doré qui rappelle un masque mortuaire en or retrouvé en Phénicie (ancienne cité antique, 800-200 avant J.-C.). Ce masque fait le lien entre différents mondes : celui des vivants et celui des morts. Le matériau de l’or renvoie à l’éternité.
Le buste de la Vénus de Milo
Le buste renvoie à la Vénus de Milo (150-125 avant JC), symbole de la beauté éternelle et intemporelle, mais contrairement à cette dernière, l’œuvre de MonkeyBird est incomplète : elle fragmentée au niveau du visage et du flanc gauche. Les artistes ont également décidé d’ajouter un bras gauche, pour que la statue puisse tenir le masque.
MonkeyBird s’intéresse beaucoup aux fragments, car selon eux, l’art n’est que construction, destruction, fragmentation, reconstruction.
Le drapé au niveau de la taille permet de faire la transition avec le bas du corps et la figure représentée: la statue d’Annibal de Sébastien Slodtz.
Annibal de Sébastien Slodtz
Ce sont uniquement les jambes d’Annibal et ses attributs de pouvoir qui sont représentés. Annibal (247-183 avant J.-C.) est un homme politique et un dirigeant militaire carthaginois. Ennemi de Rome, il remporta de nombreuses batailles et s’imposa comme l’un des meilleurs stratèges de l’Histoire.
Aux pieds de la statue, le butin de guerre porte des inscriptions de l’Empire romain. On y voit des attributs du pouvoir dont un avec la mention “SPQR” (Senatus populusque Romanus – “le sénat et le peuple romain”). Ces quatre lettres symbolisaient le pouvoir de Rome. Par extension, ces attributs représentent la puissance de la statue de MonkeyBird.
les Quatre captifs, dits aussi les quatre nations vaincues de Martin Desjardins
Cette position de puissance est renforcée par la dernière œuvre visible : les Quatre captifs, dits aussi les Quatre nations vaincues (1679-1682) de Martin Desjardins. Cette œuvre est la plus récente et sert de socle à la statue de MonkeyBird. Les quatre figures représentent les quatre nations vaincues par Louis XIV : L’Espagne, l’Empire allemand, le Brandebourg et la Hollande.
A travers ces quatre sources d’inspirations (le masque, la vénus, Annibal et les captifs), la statue de MonkeyBird cherche à incarner l’éternité, la beauté et la puissance. Ces trois symboles de grandeur sont néanmoins contrebalancés par le fait que le socle des Quatre captifs a été déboulonné à la Révolution française, qu’Annibal le stratège n’a jamais réussi à entrer dans la capitale Rome, et il ne reste que des fragments de la beauté de la Vénus de Milo.
Le titre de l’œuvre de MonkeyBird prend alors tout son sens : devant nous, se dresse un « Colosse aux pieds d’argile ». Cette statue, qui semble solide, est finalement assez fragile. Il suffit d’une révolution populaire pour la renverser…
Cette œuvre est en réalité une métaphore de la fragilité de la toute-puissance. Sa base est si instable que l’ensemble peut s’effondrer par l’impact d’une simple pierre.
La partie basse de l’œuvre entre également en jeu avec un premier plan anarchique : des pavés, des voitures, des grilles d’arbres circulaires en fonte, un attroupement de personnes non identifiables à côté de barricades… Ces éléments viennent faire écho aux événements de mai 68.
Quel message se cache derrière cette œuvre ?
L’Art permet-il de rassembler le peuple sous une même bannière afin qu’il se révolte ? Désire-t-il, en renversant ce colosse, détruire un symbole de la toute-puissance ? Est-ce que l’art fédère et protège les individus, ou est-ce qu’au contraire il les domine et les soumet ?
Les œuvres de MonkeyBird sont sujettes à des interprétations diverses, parfois opposées.
La signature des artistes est visible tout en bas de l’œuvre, en gros caractères et en lettres dorées. Le positionnement et la forme font penser aux lettres d’or des cadres d’époque moderne.
Elle est également présente dans l’œuvre sous la forme de petits singes et de nuées d’oiseaux. Ces animaux renvoient au nom des auteurs de la fresque : Monkey – signe / Bird : oiseau. Dans l’imaginaire collectif, le singe symbolise le corps, l’aspect terrestre de la vie humaine ; quant à l’oiseau, il symbolise l’esprit, la spiritualité des hommes.
Monkeybird se plie au jeu de l’effacement de l’art de la rue : nos deux artistes ne regrettent pas la disparition ou la détérioration de leur œuvre, considérant qu’il s’agit d’une fatalité de l’art urbain, qu’il faut accepter.