Le diptyque Racine I et Racine II

Madame

2018
corroyage sur fond marron, bombe aérosol
façade bâtiment B. & R. Zazzo

Racine 1 et Racine 2 est un diptyque réalisé par l’artiste Madame. La partie centrale de cette œuvre est faite à partir de collages, agrémentés de peinture appliquée à la bombe aérosol ou au pinceau. Elle qualifie ces collages de “vintage”, car ils combinent plusieurs images d’archives anciennes. L’artiste réunit ses sources, puis fait un montage à l’ordinateur qu’elle imprime ensuite et colle.

Greuze, Jean-BaptisteFrance, Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 5038

L’œuvre de Madame est une réinterprétation du diptyque de Jean-Baptiste Greuze, La Malédiction paternelle (1777), constituée du Fils ingrat et du Fils puni.
La première partie du tableau montre le départ du fils unique d’une famille à la guerre.  Son père tente de le retenir, considérant que son unique héritier fuit ses responsabilités. Animé par le patriotisme ou par une envie de découverte, le fils s’engage et quitte sa famille.

Dans Racine 1, Madame reprend la posture théâtrale du père qui plonge en avant, les bras tendus pour retenir son fils. Celui-ci a le corps tourné vers la droite, dans un geste de fuite, mais sa tête d’oiseau (modification apportée par l’artiste) est tournée vers son père.

Au centre de la composition, entre le père et le fils, un cœur apparaît, autour duquel s’entremêlent des racines et des branches, marquant ainsi le lien de filiation. L’artiste Madame a visuellement représenté l’expression “cela m’arrache le cœur” pour signifier la douleur du père. 

Greuze, Jean-BaptisteFrance, Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 5039

Dans la seconde partie, Racine 2 est la conclusion du drame. Le fils revient et découvre la mort de son père, qui gît sur le cœur. C’est la malédiction du fils, qui n’a pas pu dire au revoir à son père avant qu’il ne meure. En guise de châtiment, le fils se transforme en arbre comme en témoignent les racines à la place de ses pieds et la branche qui sort de son buste. 

Le titre Racine 1 et Racine 2 fait référence à la végétation parcourant l’œuvre. D’abord, elle vient du père, puis c’est le fils, en revenant de la guerre, qui se transforme en arbre. Sans oublier le cœur orné de branches. 

Le mot “racine” renvoie également aux origines ; l’arbre généalogique, lui, est le symbole de la vie, de la famille, des origines. 

Qu’en est-il de mai 68 ? Pour Madame, la révolte étudiante est avant tout un conflit générationnel entre la jeunesse et leurs parents. Les jeunes souhaitent se libérer des mœurs très conservatrices et puritaines de l’époque. Symboliquement, la bougie – éteinte pour le père, allumée pour le fils – matérialise l’expression “passer le flambeau”. Le père est mort, il n’a plus rien à enseigner, c’est au tour du fils (la nouvelle génération) de transmettre ses propres valeurs à ses enfants. 

Des cercles autour des têtes des personnages ont été peints en amont du collage avec de la peinture dorée métallique. Ils évoquent également les auréoles des saints dans les peintures religieuses. 

L’artiste Madame aime jouer avec les codes de la peinture classique, qu’elle reprend et détourne dans ses œuvres. L’auréole lui permet de mettre en valeur des éléments particuliers (les têtes) qui auraient été noyés parmi la végétation et le fond sombre. Dans Racine 1 et Racine 2, nous avons l’exemple parfait de la reprise de procédés de l’art classique dans l’art urbain, mais réactualisée pour révéler d’autres intentions. 

Ces touches de peinture permettent à l’œuvre de survivre après la disparition du collage en papier. En effet, quand elle réalise ses œuvres, Madame pense à leur vie et à leur continuité dans le temps. Il lui arrive de glisser des éléments qui ne seront visibles qu’une fois le collage parti. La présence de ces éléments peints témoignera de l’existence de l’œuvre de Madame, après l’effacement inévitable du collage en papier.

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